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Titre : Rapport du docteur Mallet au Préfet de la Sarthe, 1813

Sujet : Pyschiatrie / Manuscrit

Type : Manuscrit

Transcription:

Monsieur le Préfet,

Médecin de l’hospice des prisons du Mans, depuis son établissement, auquel j’ai eu l’avantage de contribuer, j’ai souvent eu occasion d’y traiter des malades, atteints d’aliénation mentale, qui s’y trouvèrent en grand nombre, pendant les troubles révolutionnaires. Placé dans les circonstances les plus favorables, pour étudier et observer ces maladies, je fus assez heureux dans leur traitement, pour obtenir des succès nombreux. Mais depuis trois à quatre ans, les fréquents passages de militaires réfractaires, ont tellement encombré nos prisons, développé des maladies contagieuses, que l’hospice s’est trouvé beaucoup trop petit, pour contenir un aussi grand nombre de malades. Il en est résulté dans l’hospice, une telle confusion, un désordre moral si opposé à l’ordre et aux règles de conduite uniformes et constantes qui doivent régner dans une maison d’aliénés, que j’ai été forcé d’en suspendre le traitement : espérant y revenir dans des temps plus favorables.

J’avais trouvé à l’hospice des prisons une réunion d’avantages, pour le traitement moral des aliénés, qui se rencontreraient difficilement ailleurs. Puissent la sollicitude bienfaisante du gouvernement, et le zèle éclairé du premier administrateur du Département en faire jouir bientôt, les importunés qui les réclament : je m’estimerai heureux, si je puis contribuer à perfectionner un semblable établissement.

L’importance de ces avantages était principalement d’isoler, d’éloigner de leur famille des maniaques qui d’après l’expérience, guérissent difficilement dans leur propre foyer : la facilité d’une sage répression, si nécessaire au traitement moral des aliénés, exercée nuit et jour, par la réunion d’hommes forts, toujours à la disposition du concierge, lorsqu’il a à réprimer les violences de quelque maniaque furieux. Cette répression dirigée avec une imposante fermeté, mais dictée par des sentiments de considération et d’humanité, si propres à gagner la confiance et à mériter l’estime des aliénés, a été si généralement couronnée de succès que la plupart des maniaques, après un séjour de quatre à cinq jours à l’hospice, sont devenus aussi timides et craintifs, qu’ils étaient violents et emportés en y entrant. Ce séjour de terreur et d’épouvante pour les maniaques les plus furieux, les physionomies rébarbaratives (sic.) et étrangères des prisonniers leur inspiraient assez de crainte pour les tenir en respect. Ils y devenaient plus dociles à exécuter les moyens de guérison ; et d’une soumission étonnante.

La frayeur et la crainte sont des passions débilitantes, bien propres à faire cesser cette énergie musculaire et l’audace qui caractérisent la manie.

Il sera facile, de retrouver tous ces avantages, même d’en créer de nouveaux, dans l’hospice des prisons de cette ville. Les bâtiments inhabités, contigus à ceux de l’hospice, pourraient être à peu de frais, disposés en appartements convenables, pour classer des aliénés, suivant la recommandation de l’auteur du Traité de l’aliénation mentale. Le terrain inculte et les jardins qui sont en face de ces bâtiments formeraient un enclos aussi agréable qu’utile, dont j’avais fait autrefois la demande à M. Auvray, comme on le verra par sa réponse ci-jointe.

La culture d’un jardin, le plaisir de la promenade, sont d’une grande utilité pour des aliénés convalescents, que l’ennui d’une détention, qui leur paraît chaque jour plus odieuse, lorsqu’ils commencent à avoir des moments lucides, de désœuvrement enfin, exposent à des rechutes, qu’on éviterait souvent, par un travail assidu, mais agréable, toujours utile pour consolider la guérison. Les productions du jardinage seraient aussi une récompense du travail, qui le leur ferait continuer avec plus d’intérêt et de plaisir.

On pourrait donner à un semblable établissement, une utilité plus étendue, beaucoup de familles du département, peu favorisées de la fortune, pourraient y trouver un pensionnat à un prix modique, pour y faire traiter leurs parents aliénés, qu’elles n’auraient pas les moyens de faire traiter chez elles. J’en pourrais citer plusieurs qui ont déjà profité de cet avantage, sans aucune dépense pour le gouvernement.

En généralisant ce projet, on bannirait bientôt de l’empire français, la coutume horrible et barbare, en usage dans presque tous nos hôpitaux, d’enfermer dans des loges indignes de contenir des humains, de malheureux aliénés, que l’on prive à jamais de l’espoir de leur guérison. Coutume qui nous rappelle les temps de barbarie où elle fut inventée n’ayant subi aucun changement depuis, on parviendrait aussi à faire cesser cet empirisme non moins dangereux, qui ne connaît, dans le traitement de la manie, que l’usage banal des saignées multipliées, des bains froids et des douches ; sans égard aux causes de la maladie, au tempérament du malade, et à la force du sujet.

Le traitement médical que nous avons employé, à l’hospice des prisons, pour les aliénés, fut celui adopté à la Salpêtrière, par le célèbre professeur Pinel, consigné, dans son immortel Traité de l’aliénation mentale : traitement dont 20 ans d’expériences ont confirmé les succès. Je m’étais surtout attaché à bien classer les espèces d’aliénations mentales, suivant les principes de l’auteur cité, à connaître leurs causes physiques ou morales ; à distinguer celles de ces maladies, qui sont idiopathiques, c’est-à-dire dont la cause est dans le cerveau même de celles qui sont sympathiques, ou dépendent d’une grande sensibilité, concentrée sur les organes du bas-ventre, ceux de la génération, ou le système de la veine porte. Les premières dépendaient souvent de phlegmasies chroniques au cerveau : de métastases érysipélateuses, arthritiques, de la gale, du lait chez les accouchées, de la suppression des règles chez les femmes, des hémorroïdes chez les hommes, et autres hémorragies habituelles -celle d’un cautère ou d’un vieil ulcère. D’autres fois ce sont de vives commotions au cerveau, des frayeurs, des contrariétés qui exaltent la sensibilité nerveuse ; ou de longs chagrins, effets de la perte d’un objet chéri, d’un état duquel dépendaient la fortune et la considération : d’excès en tout genre dans le régime. C’est d’après l’observation de ces causes variées, que le traitement a été dirigé et soutenu par tous les moyens d’hygiène qu’on a pu mettre en usage.

Fait et arrêté au Mans, le 12 8^bre 1813.

Citer ce document : Rapport du docteur Mallet au Préfet de la Sarthe, 1813, Arch. Dép. Sarthe

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