Portraits croisés
Entre les murs de l’hôpital du Mans : Siècles passés et instants présents
Cette exposition a été réalisée par Julie Chevallier et Maeva Rafron, dans le cadre du master Histoire, Civilisations et Patrimoine de l’université du Mans, sous la direction d’Hervé Guillemain (TEMOS CNRS 9016).
Elle a été soutenue par le dispositif de stages financés par Le Mans Métropole au bénéfice des collaborations entre l’université du Mans et le CHM.
Elle a bénéficié du soutien des équipes du Centre Hospitalier du Mans, de l’université du Mans, du laboratoire TEMOS CNRS 9016, des Archives départementales de la Sarthe, des Archives municipales du Mans et de DicoPolHiS.
Elle a été mise en forme par Benoît Barbier et Antoine Renaudin.
Faisant suite à une exposition retraçant les évolutions architecturales du site (en ligne), les portraits croisés qui la composent reconstituent une histoire incarnée de l’établissement hospitalier depuis la fin du XVIIIe siècle. Ils mettent en exergue les ruptures et les continuités propres à l’histoire de l’hôpital du Mans.
Suite à la demande de Louis XIV, l’hôpital du Mans est fondé en 1658. Il s’agit de réunir les malades et les pauvres au sein d’un même établissement, au XVIIe siècle des hôpitaux généraux se diffusent ainsi dans les villes de France. L’hôpital du Mans regroupe alors en une seule institution, plusieurs établissements ayant pour vocation d’accueillir les malades et les indigents. L’hôpital initial était alors situé dans le centre ville du Mans, mais au XIXe siècle, la population mancelle augmente et l’hôpital ne peut plus accueillir tout ceux qui le sollicitent. Les bâtiments trop anciens nécessitent des travaux de trop grande ampleur, il est donc décidé de déplacer l’hôpital à son actuel emplacement.
La cérémonie d’inauguration a lieu le dimanche 12 juillet 1891 à 13h15. L’ouverture de l’hôpital est vécue comme un jour de fête, des festivités sont organisées dans toute la ville. Les cafés et les bals publics du Mans, obtiennent l’autorisation de rester ouverts jusqu’au matin, afin de fêter l’inauguration de l’établissement, désormais indissociable des progrès de la médecine. L’hôpital s’est en effet médicalisé depuis le XVIIIe siècle, autrefois lieu de charité, il devient le lieu de développement de la médecine et de la science moderne. Il conserve aujourd’hui ce rôle, il a en effet un rôle central en ce qui concerne la santé de la population du Mans, en particulier celui d’assurer des soins qui nécessitent une technicité médicale croissante et particulière.
Dès la fondation de l’hôpital du Mans en 1658, ce sont des religieuses qui prennent soin des malades, elles ont le rôle d’infirmières au sein de la structure. Depuis 1812, les sœurs qui s’occupent des malades, mais également des enfants accueillis par l’institution, sont les sœurs qui appartiennent à la congrégation d’Évron.
Les religieuses sont présentes à l’hôpital du Mans jusqu’en 1980, elles ont aujourd’hui disparu des effectifs. En effet dès la fin du XIXe siècle, leur nombre diminue au profit des infirmières laïques et diplômées. En 1938 est créé le diplôme d’état d’infirmier, et ce diplôme sera rendu obligatoire pour être infirmière dans une structure hospitalière. Ces changements institutionnels ont favorisé le développement des infirmières laïques, dont la figure s’impose au sein des structures hospitalières comme l’hôpital du Mans. Le soin apporté aux malades s’est donc professionnalisé et médicalisé, depuis la création de l’hôpital jusqu’à aujourd’hui. Désormais, les infirmiers et les infirmières occupent cette fonction autrefois réservée aux religieuses. Ils et elles illustrent en quelque sorte, la façon dont l’hôpital est passé d’un établissement de charité chrétienne, à un établissement médical laïque.
Les vêtements des soignants sont aujourd’hui de couleur claire, et notamment de couleur blanche. On parle parfois de ces soignants en les désignant comme les « blouses blanches » car cette couleur est associée au domaine médical et hospitalier. Le costume des infirmières de l’hôpital du Mans, a toutefois changé en plusieurs siècles, et la réglementation concernant leurs vêtements, et notamment leur couleur, fut l’objet de discussions et même d’interdiction.
Au XVIIIe siècle leur habillement fait l’objet d’une réglementation sévère, en effet les sœurs de l’hôpital sont soumises à une règle de sobriété en ce qui concerne leur apparence. Leur vêtement doit être de couleur sobre, de préférence brun, gris ou noir, afin de rappeler qu’elles sont soumises à Dieu. Les années qui suivent la Révolution Française, en raison des mesures laïques décidées pendant ces dernières, modifient cette réglementation. En effet les Religieuses qui prennent soin des malades au sein de l’hôpital, n’ont plus le droit de porter leur costume de religieuse.
Dans l’histoire de l’hôpital du Mans, le vêtement des soignants est donc source d’enjeux multiples, à la fois religieux et politiques. Aujourd’hui il est réglementé en fonction des principes d’hygiène propre aux normes hospitalières modernes.
Au XIXe siècle, le médecin des épidémies de l’hôpital du Mans, Jules Le Bêle, fait un rapport sur les épidémies traitées au sein de l’établissement. Des maladies aujourd’hui disparues sont mentionnées, telle que la suette ou l’angine couenneuse. Le siècle doit également faire face à des épidémies de fièvre typhoïde, de scarlatine, de coqueluche et de choléra. La petite vérole est également toujours présente malgré des campagnes de vaccination. Aujourd’hui l’hôpital du Mans ne fait plus face aux mêmes épidémies. Le docteur Hitoto, infectiologue et chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital du Mans, nous renseigne sur les maladies contagieuses traitées actuellement au centre hospitalier. Parmi elles, la grippe, mais également la COVID 19 depuis son apparition, ainsi que certaines IST (Infections sexuellement transmissibles). On associe également la tuberculose à une maladie ancienne, cependant le docteur Hitoto nous rappelle qu’elle est plus rare, mais toujours présente.
Les médecins du XIXe siècle sont également de fins observateurs du climat, et notamment de la température et de la pluviométrie, lorsque ils étudient les vagues épidémiques. Le médecin infectiologue de l’hôpital, rappelle que l’influence des saisons sur les épidémies est réelle, puisque les virus résistent mieux au froid qu’à la chaleur, ce qui influence les vagues épidémiques. Il semble également que le réchauffement climatique bouleverse la saisonnalité de certaines maladies contagieuses, ce qui implique alors peut être de repenser les calendriers de vaccination.
En 1855, Jules le Bêle, le médecin des épidémies de l’hôpital du Mans, rappelle la nécessité de soigner le corps du malade, mais ajoute toutefois qu’« il ne faut pas oublier son moral. ». L’empathie et l’aspect psychologique du soin, sont donc déjà pensés à l’hôpital du Mans en plein coeur du XIXe siècle. Plus d’un siècle plus tard, le docteur Hitoto, chef du service des maladies infectieuses du centre hospitalier du Mans, semble partager la même approche médicale. Il défend en effet l’idée d’une prise en charge globale du patient. Il s’agit alors de prendre en compte sa maladie, mais également son moral, son univers psychologique et sa culture. Le médecin souligne aussi la façon dont l’épidémie de Coronavirus, fut éprouvante pour les patients, les familles, mais également les soignants. Les conséquences émotionnelles de l’épidémie de Covid 19, ont toutefois favorisé la pensée d’une politique de santé mentale, le docteur Hitoto rappelle la nécessité de ces préoccupations psychologiques.
Malgré l’évolution de la médecine et des connaissances scientifiques, la dimension émotionnelle du soin en tant que valeur médicale, perdure et semble établir un lien entre les deux siècles.
Dès le XVIIIe siècle, on constate l’importance de certains produits dans le régime alimentaire des résidents de l’hôpital du Mans. L’importance du lait est particulièrement soulignée, il est en effet utilisé et nécessaire pour alimenter les enfants de l’établissement. L’hôpital possède d’ailleurs plusieurs animaux, dont des vaches afin de ne pas avoir à dépenser trop d’argent en achetant le lait à l’extérieur de l’établissement. Une religieuse de l’hôpital, « sœur B », souligne d’ailleurs que le lait acheté est parfois de moins bonne qualité, il tourne plus vite et il est très cher. La présence des animaux de ferme qui fournissent certains éléments de l’alimentation est donc favorisée. Parmi ces animaux, il faut également préciser la présence d’une basse cour, qui fournit des œufs à l’hôpital. Les œufs ont en effet une importance particulière, ils sont indispensables au régime alimentaire des malades, notamment car ils peuvent remplacer la viande dans certains repas. Au XVIIIe siècle, les produits carnés sont en effet dispendieux, les oeufs représentent alors une alternative. Naomi Vaupré, diététicienne à l’hôpital du Mans, nous indique que les protéines sont toujours présentes et
indispensables dans les repas des convalescents. Elle souligne également l’importance de l’alimentation et son rôle dans le recouvrement de la santé.
Les repas des convalescents au XIXe siècle, comportent quelque chose de surprenant pour les contemporains, en effet du vin est prévu dans le régime alimentaire des patients. Ce vin est donné en fonction de l’ordonnance du médecin, il n’est pourtant pas si étonnant de le voir mentionné, car le vin a pendant longtemps été perçu comme un moyen de retrouver des forces. Aujourd’hui le vin a disparu des repas des malades à l’hôpital du Mans, les repas sont élaborés avec une nutritionniste et adaptés à la condition physique des patients.
Le règlement intérieur de l’hôpital du XIXe siècle, nous donne quelques informations sur les aliments présents dans les repas durant cette période. En plus du vin, le pain blanc, les laitages, les œufs, les poissons et la viande sont mentionnés. On constate également la présence de bouillons, de poisson, de riz, de pruneaux, et de légumes secs. Des légumes frais figurent également au menu, l’hôpital a d’ailleurs pendant longtemps possédé son propre potager.
Naomi Vaupré, diététicienne au sein du centre hospitalier, précise qu’aujourd’hui les menus sont pensés en terme d’apport calorique et d’équilibre alimentaire. Ils sont mis à jour régulièrement, et certaines personnes, comme les femmes enceintes, bénéficient de menus spécifiques, qui prennent en compte les risques microbiologiques.
L’hôpital a pendant longtemps eu la charge des enfants orphelins. Aujourd’hui ce rôle a disparu, notamment suite à la création de l’aide sociale à l’enfance, puis celle de la Direction départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, en 1964. Aux siècles précédents, les enfants trouvés ou placés, grandissaient cependant au sein de la structure hospitalière. En 1866, 146 enfants furent admis à l’hospice. La mortalité infantile au sein de l’établissement est importante, et les médecins pensent l’allaitement naturel comme une façon de combattre cette forte mortalité. Le recours à des nourrices extérieures est évoqué. Elles améliorent l’alimentation des nouveaux nés et sont pensées comme un moyen de faire reculer la mortalité des plus jeunes. La plupart des enfants de l’hôpital sont toutefois placés dans des familles à la campagne. Ces familles sont sélectionnées, et l’hôpital veille à leur bonne réputation et au traitement bienveillant des enfants. Quand l’attitude des familles ne semblent pas convenable, certains particuliers écrivent des lettres à l’institution hospitalière, afin de l’informer du mauvais traitement des enfants qui ont été placés. Aujourd’hui la prise en charge des enfants placés ne fait plus partie des attributions hospitalières, et cela fait partie des changements majeurs qui concernent l’histoire de l’hôpital du Mans
Le soin apporté aux enfants et à leur éducation, au sein de la structure hospitalière, révèle les préoccupations religieuses de l’établissement. Des institutrices et des instituteurs sont employés par l’hôpital, afin que les enfants puissent avoir une instruction convenable. Selon les rapports du Conseil Général de la Sarthe de 1867, presque tous les enfants de l’hospice savent lire et écrire lorsqu’ils atteignent l’âge de douze ans. Les enfants placés à la campagne, sont également placés dans des maisons proches du bourg de la commune, afin de pouvoir fréquenter l’école. Au XIXe siècle, la plupart des enfants de l’hospice vont donc régulièrement à l’école. Si les enfants sont placés dans des familles qui vivent proche des bourgs, c’est également pour pouvoir suivre les exercices religieux. Une grande importance est en effet accordée à l’instruction religieuse des enfants, mais aussi à la religiosité des familles qui les prennent en charge. Le Centre Hospitalier du Mans est aujourd’hui un établissement laïque, les préoccupations religieuses ne font plus partie de ses attributions, le personnel de l’établissement est également soumis à des règles de laïcité. La chapelle construite en 1890, est toujours présente, et elle conserve son rôle auprès des patients et des familles qui le souhaitent, toutefois sa présence sur le site relève avant tout de la conservation du patrimoine. Si la laïcité est une notion importante pour l’établissement, elle est également garante du droit au culte des patients. Elle permet en effet que chaque culte soit traité avec les mêmes égards, et assure aux patients un soutien religieux si ils en font la demande. C’est surtout un soutien moral, et une démarche éthique et philosophique qui est mise en place. Aujourd’hui on peut donc davantage parler d’un soutien spirituel, qui remplace la dimension religieuse de l’établissement d’autrefois.
L’hôpital a toujours eu un rôle important en ce qui concerne la vaccination. Vaccination et revaccination, deux concepts qui nous semblent très actuels, sont déjà au centre des pratiques de soin du XIXe siècle. Adultes et enfants sont concernés, les rapports médicaux précisent ainsi que la lutte contre la petite vérole dépend de la vaccination et de la revaccination des populations. Dès le début du XIXe siècle, les enfants de l’hospice sont soumis à des réglementations vaccinales. En 1815, la préfecture de la Sarthe formule une demande adressée à l’hôpital du Mans, afin de connaître le nombre d’enfants vaccinés en 1814 contre la variole. Cette demande concerne les enfants de l’hospice, mais également les enfants placés à la campagne. Un rapport médical de 1874, nous informe que dans les écoles primaires du Mans, un certificat de vaccine est obligatoire pour que les enfant soient acceptés au sein de l’établissement scolaire.
Aujourd’hui encore l’hôpital du Mans a un rôle majeur en ce qui concerne la vaccination, c’est également le cas en ce qui concerne la vaccination des enfants. L’établissement transmet en effet des informations, concernant le calendrier de vaccinations des jeunes enfants, afin de faciliter la démarche des parents.
Le rôle de l’hôpital en ce qui concerne la gestion des enfants placés, s’est arrêté au XXe siècle. Cependant une autre dimension du soin liée à l’enfance, va prendre une importance grandissante pour l’établissement au cours du XXe siècle, il s’agit de la maternité. Alors qu’au début du siècle l’accouchement à la maison est encore la norme, les accouchements à l’hôpital vont se multiplier. L’établissement va devenir un lieu de naissance pour la plupart des enfants, les conditions hospitalières permettent en effet de garantir la santé du nouveau né et de la mère.
À la fin du XIXe siècle, l’hôpital du Mans avait toutefois un rôle social important en ce qui concerne la maternité. En effet l’établissement proposait des consultations médicales gratuites pour les femmes enceintes qui n’avaient pas les moyens de consulter un médecin. Aujourd’hui, en plus d’être le lieu des principales naissances, l’hôpital a toujours un rôle de soutien aux femmes enceintes et celles qui viennent d’être mères. Des journées consacrées à l’allaitement sont ainsi organisées par l’établissement, des conférences et des ateliers sont proposés aux mères qui le souhaitent, elles ont alors accès à des conseils émanant de professionnels du soin.
L’hôpital du Mans fut un lieu de charité, un lieu d’accueil, un lieu de soin, mais également un lieu d’enseignement et de pédagogie. Au XIXe siècle, l’établissement a notamment un rôle en ce qui concerne la formation des sages femmes, des cours d’accouchements sont en effet proposés. Les élèves sages-femmes sont formées au sein d’une maternité, dont la direction est confiée à un médecin de l’hôpital du Mans, le choix de ce médecin est parfois source de conflit, ce qui nous renseigne sur l’importance de ce poste.
Cette maternité accueille des filles mères, c’est-à-dire des femmes enceintes n’étant pas mariées. Ces femmes sont souvent sans ressources, les admettre dans cette maternité-école permet aux sages-femmes d’être formées, mais cela permet également aux femmes enceintes se trouvant dans une situation précaire, de trouver un refuge. La maternité illustre également l’importance que l’établissement accorde à la formation et à la recherche médicale. L’hôpital du Mans est en effet un lieu de développement de la recherche scientifique. La maternité du Mans, en 1847, fut d’ailleurs le lieu de la première tentative de chloroformisation obstétrical. L’établissement a conservé son rôle en ce qui concerne la recherche scientifique et la formation médicale. Plusieurs écoles, et notamment l’Institut de Formation en Soins Infirmiers, sont situées sur le site du centre hospitalier, et fonctionnent en lien avec ce dernier. le Centre Hospitalier accueille à ce jour de nombreux étudiants et internes en médecine (futurs médecins en formation). Ils sont plus de 200 accueillis chaque semestre. Le Centre Hospitalier du Mans est aussi de nos jours, l’un des premiers établissements non universitaires au plan national en termes de recherche clinique et d’accès à l’innovation thérapeutique.